Les lieux clos
Extrait
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La Cabane
La volonté de séparer filles et garçons au pays des châteaux était confirmée par l'existence même des Tilles et de l'Hermitage. De toute évidence, la mixité, à l'époque était prise avec des pincettes. Mais si cette séparation géographique avait pour but d'éviter des contacts trop fréquents, risquant de devenir "malsains" dans l'esprit de certains pédagogues, le fait que pour les garçons la classe avait lieu chaque après-midi au rez-de-chaussée de l'Hermitage, contrariait forcément la politique qui semblait avoir été adoptée.
Officielles ou clandestines, les rencontres ne pouvaient être complètement évitées. D'autant que les décisions prises au sommet de la hiérarchie devenaient inapplicables lorsqu'elles se heurtaient à certains éléments imprévisibles de la réalité quotidienne.
Par exemple, le fait que la récréation des deux classes ait lieu exactement à la même heure. Simplement parce que les deux institutrices, confiant la surveillance des enfants aux monitrices, trouvaient là l'occasion d'être ensemble.
Cependant, conformément aux ordres reçus et pour régler, croyait-on, le problème, la récréation des filles avait lieu d'un côté du château, celui donnant sur la prairie, et celle des garçons du côté opposé, là où la forêt était plus proche et plus dense.
Seul un observateur placé au sommet de la tour de l'Hermitage, unique endroit qui permette une vision simultanée des terrains de jeux, aurait eu la possibilité d'assister au scénario suivant :
A 16 heures précises, à un signal donné, trente garçons et trente filles, chacun de leur côté, se précipitent en hurlant en direction de la partie la plus éloignée de leur terrain de jeux respectif. Les lieux résonnent des cris, des rires, des pleurs qui accompagnent immanquablement la galopade échevelée.
Les fauves étaient lâchés. Ils oubliaient tout, orthographe, calcul, rédaction, et autres détails insignifiants du programme scolaire.
Ils n’avaient qu'une seule idée en tête, courir le plus vite possible afin d'arriver le premier ou la première.
Ainsi, chaque jour, indéfiniment, quels que soient la saison et le temps qu'il fasse, poussé par un mystérieux instinct de compétition, les enfants renouvelaient leur exploit de la veille.
Ensuite, selon ses goûts et sa nature, chacun employait son temps de récréation à sa guise.
Côté prairie, les filles se livraient à des jeux de filles. Collectifs ou individuels, marelle ou corde à sauter, parties de chandelles ou jeu de mouchoir.
Côté forêt, batailles rangées, cache-cache ou chat perché, occupaient généralement les petits diables.
Ainsi les jeux étaient faits. Filles et garçons s'ébattaient sur leur terrain de jeux respectif sous la surveillance distraite d'une monitrice.
Cependant les deux places n'étaient en somme séparées que par la largeur du bâtiment, une vingtaine de mètres environ.
Cette petite bande de terrain, dégagée aux abords immédiats de l'Hermitage, devenait touffue à mesure qu'on s'éloignait et constituait une sorte de no man’s land entre les deux camps.
Dissimulé aux regards des monitrices, c'était le lieu rêvé pour les rencontres clandestines.
Les enfants nommaient l'endroit "la cabane" car pour se rendre au centre de la clairière, il faillait nécessairement franchir, presque en rampant, une sorte de tunnel qui perçait un mur constitué d'arbustes, de ronces étroitement entrelacées. L'ensemble pouvant effectivement suggérer une sorte de maison végétale.
Là, à l'abri des regards indiscrets, filles et garçons, dans une délicieuse et excitante atmosphère clandestine, se livraient au plaisir de l'interdit. Celui de s'éloigner du terrain.
Généralement, seul le hasard décidait les rencontres. Deux ou trois garçonnets, lassés des jeux habituels, s'approchaient discrètement du sous-bois, trompant la vigilance de la monitrice et pénétraient dans la cabane.
Que des filles s'y trouvent ou non à ce moment, n'avait aucune espèce d'importance. L'essence même de ces rencontres, c'était avant tout la complicité qui unissait les gosses dans l'acte de désobéissance. Le jeu de la séduction, universel et éternel, qui s'amorçait certaines fois, n'était en réalité qu'une conséquence, un aboutissement logique. Comme toute autre forme de relation qui s'établissait entre les deux groupes d'enfants qui, séparés par un règlement aveugle, se retrouvaient naturellement sans qu'on puisse y voir une perversion quelconque.
Ils pouvaient tout aussi bien tenir un conseil de guerre, organiser un chat perché, se battre, s'insulter, ou s'ignorer. L'important était d'être, pour un court instant, ensemble malgré la volonté des adultes qu'il en soit autrement.
La "Cabane" c'était en quelque sorte le jardin secret, l'anti-château où l'on échappait quelques minutes aux contraintes de la vie collective dirigée, surveillée, réglée, à la convenance des "grands.". Là on pouvait dire et faire ce que bon nous semblait, sans être repris, rectifié, corrigé, redressé amendé.
La cachette idéale, le refuge parfait, l'espace privilégié qui permettait d'échapper au fardeau, parfois pesant, de l'éducation contrôlée
Les limites mêmes de ce "lieu clos" lui donnaient un charme supplémentaire. On était forcément confronté à une situation d'enfermement volontaire. Pour entrer ou sortir de la Cabane, il fallait nécessairement ramper sous le tunnel long de deux mètres. Cette reptation n'était pas facile et parfois même douloureuse, les genoux et le bras dénudés, striés de lignes écarlates, témoignaient de cette difficulté. Mais tous et toutes bravaient sans crainte le danger, sans broncher. Cette épreuve, c'était le prix qu'il fallait payer pour connaître les secrets de la cabane, c'était l'initiation.
Préface de Nathalie Goursolas-Bogren
Bernard Abchiche m’a fait l’honneur de me demander d’écrire la préface à son livre.
Lourde tâche, même pour quelqu’un qui a l’habitude d’écrire. Comment commencer ? Quoi écrire ? Comment être intéressant sans qu’on me soupçonne de parti pris ? Comment en faire suffisamment sans en faire trop ?
On trouve sur internet des instructions assez précises sur l’art et la manière d’écrire une préface. Preuve, s’il en faut, que la tâche est ardue et que les mots se dérobent facilement.
Et les méthodes ne soulagent pas de la difficulté : écrire, c’est s’exposer, dévoiler irrémédiablement ses réflexions, ses sentiments, ses émotions sans fard, prendre le risque d’être jugé sans pouvoir se défendre et si c’est difficile pour une préface, que dire de la difficulté de publier un livre entier ?
Alors, je me lance et je vais tenter de me montrer aussi courageuse que mon partenaire d’écriture et d’aventures intellectuelles.
Je ne suis pas spécialiste de littérature. Je ne sais pas disserter sur le style, le choix des mots, les intentions de l’auteur... Je dirais donc ce que j’ai aimé dans ce roman et qui vous le fera peut-être choisir, à vous ensuite de découvrir les raisons qui vous le feront apprécier.
C’est un roman raconté à hauteur d’enfants, d’enfants qui découvrent et observent le monde sans jugement et sans pathos malgré l’adversité qui les a menés dans cette collectivité d’enfants sans parents.
C’est un roman lent qui oblige à regarder la vie et les paysages qu’ils traversent en même temps qu’eux.
C’est un roman lyrique qui réussit à nous faire revivre vers les émerveillements touchant de naïveté de l’enfance pour des couleurs, des musiques et des rencontres.
Ce sont des histoires de vie qui se tissent et s’entremêlent, qui se heurtent et s’éloignent pour mieux se rapprocher.
C’est un roman qui se suffit à lui-même et qui donne envie de lire le suivant.
Merci Bernard
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